samedi 18 octobre 2025

BAGHDAD

Baghdad.

Un mot qui résonne comme un conte des mille et une nuits, et qu’on découvre soudain, bien réelle, poussiéreuse, vibrante, fragile.

Les gens y sont incroyablement gentils, chaleureux même, mais… pas vraiment cultivés. On sent qu’ils ont vécu longtemps sous la dictature. C’est dans leurs gestes, dans leur manière prudente de parler, dans leurs regards pleins de douceur et de résignation à la fois. Et pourtant, on perçoit ce désir sincère de faire mieux, de respirer, d’avancer.

La ville, elle, est un chaos fascinant : une mosaïque improbable de bâtiments ultramodernes collés à des ruines qui tiennent à peine debout. Des quartiers entiers semblent figés dans le temps, d’autres surgissent comme des mirages de modernité. Années de guerres, de pauvreté, de sanctions, d’exils. Et au milieu de tout cela, une société encore profondément patriarcale. On voit très peu de femmes dans les rues… presqu’aucune au volant d’une voiture.

 





Alors forcément, nous, les Libanais, on passe un peu pour des créatures mythologiques. De véritables licornes venues d’un pays où les femmes parlent, rient, s’affirment, conduisent, travaillent, s’habillent comme elles veulent. Ici, on nous regarde avec curiosité et affection. Les Irakiens aiment le Liban — et ses femmes surtout.

Un soir, au Luna Park, un petit groupe de jeunes gens, à peine sortis de l’adolescence, nous a suivis partout, montant dans chaque manège après nous. Des gamins émerveillés, heureux, fascinés. C’était à la fois drôle et touchant.

Et puis, au cours d’un dîner offert par l’hôtel dans ses jardins, nous nous sommes retrouvés nombreux, venus de pays différents mais unis par notre amour de la scène : Irakiens, Polonais, Libanais, Palestiniens, Indiens, Maghrébins, Tunisiens, Allemands, Iraniennes…

Nous, les douze Libanais, avons évidemment commencé à danser dès les premières notes de musique. Et tout le monde a suivi dans une immense dabké. Ceux qui ne dansaient pas nous ont filmés, et ensuite a commencé une séance de photos interminable, chacun voulant un selfie avec nous. C’était super fun !




Les compliments fusaient sur notre prestation plus tôt ce soir-là :

« Vous avez mis de l’amour dans notre cœur »,

« Comme ça fait du bien de rire »,

« Ah, si seulement le théâtre arabe ne méprisait pas la comédie »,

« Vous êtes d’excellents acteurs »

« Si vous ne gagnez pas, c’est que c’est truqué ! »

Impressionnant.

Notre pièce « Tnayn bel Layl », jouée au Festival du Théâtre de Bagdad, a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme. Le public a ri, applaudi, certains ont même été émus aux larmes. Et les critiques ont salué notre spectacle comme un souffle d’humanité et d’espoir venu du Liban. Une standing ovation dans un Bagdad assoiffé de culture et de vie.

Bien que le jury officiel du festival ne l’ait retenue dans aucune catégorie, ignorant complètement le spectacle — peut-être jugé trop moderne ou trop “commercial” — ce “commercial” a suscité un débat intéressant lors de la séance critique. Plusieurs intervenants ont souligné que dans le théâtre arabe contemporain, le plaisir immédiat du spectacle n’est plus un défaut, mais une qualité essentielle, devenue une véritable nécessité pour renouer le lien entre la scène et le public. Pas de prix Officiel mais définitivement le Coeur du public.






Plus je voyage dans les pays arabes, plus je comprends pourquoi on appelle Beyrouth le Paris du Moyen-Orient. Ce n’est pas pour les immeubles ni pour la mode — c’est pour les femmes. Elles sont là, multiples, libres d’esprit, présentes partout, même voilées, mais libres à leur manière. C’est cela, notre différence.

Et puisque parler de culture passe aussi par la cuisine, je dois absolument recommander le Masgouf, ce poisson du Tigre, une carpe de rivière grillée verticalement sur des braises. La peau craque, la chair est fumée, fondante. On la déguste avec du pain tameez et une sauce « anba » à la mangue, acidulée et relevée. Un vrai délice.

Les routes ici sont étonnamment larges et en bon état. L’électricité ne manque pas — un miracle dans la région. Le peuple, toujours aussi accueillant, malgré un manque flagrant d’éducation et d’organisation. Le festival, lui, c’est un peu… « tralalala » : désordonné, téléphones qui sonnent pendant les spectacles.

Et je le redis : on ne voit presque pas de femmes 😄









L’hôtel ? Les chambres confortables, mais de l’extérieur, l’immeuble est décrépi. La piscine est vide — évidemment 😄 Et l’eau du bassin teintée en bleu, histoire de faire illusion. Une des allées extérieures menant aux jardins, impeccablement entretenus, est pourtant envahie par des colonies de pigeons. Le plafond est littéralement squatté par ces volatiles, et le sol en est couvert de leurs excréments… ce qui m’a valu de surnommer cette allée « La Crotte aux Pigeons ».

Je me suis promenée dans les ruelles du quartier Al-Mutanabbi, en restauration. Cela m’a rappelé le centre-ville de Beyrouth juste après la guerre : ce mélange de neuf et de décrépi, de reconstruction et de nostalgie.

Dans une des rues, j’ai même eu une impression de Nouvelle-Orléans, dans l’architecture, bien sûr — pas dans l’ambiance.

Et au détour d’une ruelle, ce qui m’a le plus étonnée : la quantité incroyable de papeteries ! Des stands de livres partout, des étals qui sentent l’encre et le papier. Un peuple qui, malgré tout, a encore soif de lecture.

Bagdad, c’est ça :

Un chaos qui rêve d’ordre.

Une plaie qui cicatrise lentement.

Une ville brisée mais digne,

où l’on apprend encore, malgré tout, à aimer la vie.

Mais…

Trop patriarcal, trop religieuse, trop conservatrice pour moi.

Josyane Boulos