vendredi 4 septembre 2020

UN COEUR BAT SOUS LES DECOMBRES




Un Cœur bat sous les décombres. Un mois après l’explosion du port, un Cœur bat encore sous les décombres. Le peuple entier s’attache à ce cœur comme une perfusion. Continue à battre parce que tu es notre cœur à tous. Parce qui si tu t’arrêtes nous mourrons tous une deuxième fois… une centième fois…

2 :30 Je ne dors pas, les yeux rivés sur les live sur Facebook. Je passe de la colère à l’empathie. La clim est à fond et je transpire quand même très fort.

 

« Ne te mets pas à sa place » me hurle mon subconscient.

Je pose mon téléphone sur ma table de chevet et essaye de dormir.

Mais cet être humain, ce cœur enseveli sous les pierres a-t-il dormi ? S’est-il imaginé que tout ce qui lui est arrivé n’était qu’un cauchemar ?  A-t-il hurlé à s’époumoner mais personne ne l’a entendu… 29 jours ?

 

« Ne te mets pas à sa place. »

Comment a-t-il pu supporter la faim, la soif, la peur ? S’est-il demandé pourquoi personne ne venait l’aider ? Pourquoi l’autre personne près de lui ne lui répondait plus ? L’a-t-il vu mourir ? A-t-il entendu son dernier souffle ?  Faites qu’il soit dans le coma depuis longtemps… sa souffrance est insoutenable.

J’ai l’impression que mon cœur va s’arrêter. Je sors du lit. Je passe dans ma salle de bains et je me lave le visage à grandes eaux.

Mais elle cette âme qui respire 19 fois par minute… Comment ? Comment a-t-elle survécu 29 jours ? Dans le noir, dans la solitude absolue ? A-t-elle essayé de téléphoner ? Elle et l’autre près d’elle sont-elles si seules au monde qu’elles n’ont manqué à personne ? Que personne ne les pleure ? C’est horrible.

 

« Ne te mets pas à sa place. »

Je n’arrive pas à me détacher de ce cœur. Comme si me détacher allait le tuer. A-t-il entendu le murmure de la foule dans la rue qui priait pour sa survie ? A-t-il entendu le soulèvement populaire qui a exigé et organisé la reprise des travaux de secours ? saura-t-il jamais que c’est une chienne chilienne qui l’a retrouvé ? Une bête qui vaut mille êtres humains.  Sait-il que l’état voulait l’abandonner à son propre sort ? Que sans la société civile les recherches n’auraient jamais eu lieu ? Comprend-il qu’il est l’allégorie de tout un peuple abandonné à son propre sort ? Qu’il se bat encore pour survivre dans un pays gouverné par 3 états ? Un état corrompu qui le vole, un état armé qui le tue et le menace et un état peuple qui s’est pris en main et qui s’autogouverne ?

 

« Ne te mets pas à sa place. »

4h du matin… j’ai mal aux cœurs.  Je tends ma main vers le tiroir de ma table de chevet, prends un comprimé et l’avale. Je dois dormir d’un sommeil sans rêves, sans cauchemars.

 

Un mois après l’explosion, sera-t-il vivant à mon réveil ? Quelqu’un sera-t-il puni pour tous ces meurtres ? Continuerons-nous à nous battre pour que Justice soit faite ? Ou sombrerons-nous de nouveau dans l’insouciance des fêtes ?

Ne pas oublier.

Ne pas pardonner.

Jamais.



JOSYANE BOULOS  

 Photo Akram Nehmé - 3 septembre 2020 Gemmayzé - Beyrouth,