Ma soeur et moi sur notre balcon à Sodeco |
(bad) english version below
Le 13 avril 1975, nous étions en famille à Himlaya, dans la montagne libanaise chez Fouad et Monique Haddad. Nous célébrions les 41 ans de papa. Les détails de la journée se sont enfuis de ma mémoire. Et mes parents ne sont plus là pour m’en rappeler. Mais je suis certaine que Fouad a du prendre un tas de photos, Papa a du faire un milliers de calembours, Monique nous faire faire des dessins, Maman grimper et courir partout avec nous. Je suis sûre aussi que nous avons du cueillir du thym dans les champs encore vierges d’immeubles hideux, jouer à chambre noire dans la chambre de Robert, et se tenir la main en regardant Sannine en se disant que ce serait chouette si toute la vie était comme ce dimanche-là. Nous ne savions pas encore, vu que les cellulaires n’existaient pas et que nos parents n’avaient pas encore pris l’habitude d’écouter les nouvelles à la radio. Nous ne savions pas encore que notre vie serait finalement comme ce dimanche là, pas celui de Himlaya, mais celui crée de toutes pièces à Ain el Remmaneh.
Le 13 avril 1975, nous étions en famille à Himlaya, dans la montagne libanaise chez Fouad et Monique Haddad. Nous célébrions les 41 ans de papa. Les détails de la journée se sont enfuis de ma mémoire. Et mes parents ne sont plus là pour m’en rappeler. Mais je suis certaine que Fouad a du prendre un tas de photos, Papa a du faire un milliers de calembours, Monique nous faire faire des dessins, Maman grimper et courir partout avec nous. Je suis sûre aussi que nous avons du cueillir du thym dans les champs encore vierges d’immeubles hideux, jouer à chambre noire dans la chambre de Robert, et se tenir la main en regardant Sannine en se disant que ce serait chouette si toute la vie était comme ce dimanche-là. Nous ne savions pas encore, vu que les cellulaires n’existaient pas et que nos parents n’avaient pas encore pris l’habitude d’écouter les nouvelles à la radio. Nous ne savions pas encore que notre vie serait finalement comme ce dimanche là, pas celui de Himlaya, mais celui crée de toutes pièces à Ain el Remmaneh.
Si je ne me rappelle pas les détails de la
journée, je n’oublierais jamais, ceux de
la nuit. Vers la fin de l’après-midi, nous avons senti nous les enfants, au
milieu de nos cris d’allégresse, le vent de panique qui a soufflé sur nos
parents. Je ne sais pas comment ils ont su « que ça allait mal en
ville. » A une vitesse incroyable, tout fut rangé, lavé, fermé, bouclé et
nous, fourrés dans les voitures avant même d’avoir eu le temps de seriner le
traditionnel « encore 5 minutes s’il te plait maman !» Les 2 voitures
se sont suivies, les Haddad habitant dans le même quartier que nous, à Sodeco,
future ligne de front.
Les rues de Beyrouth étaient désertes.
Arrivés chez nous, nous fûmes accueillis par des jeunes gens armés jusqu’aux
dents. Ce n’étaient pas des soldats. Ils étaient habillés en civil. Ils nous
font de grands signes de la main et nous conseillent de garer dans une
ruelle. « A cause des francs-tireurs » hurla l’un. « Ne
vous approchez pas des fenêtres ni des balcons et cachez les enfants »
cria un autre, « n’allumez pas les lumières des chambres donnant sur la rue.» Nous
avons rasé le mur du terrain vague qui côtoyait notre immeuble. Nous sommes
arrivés dans notre appartement le cœur battant. J’avais peur. Et c’est à ce
moment que j’ai entendu les premiers coups de feu de ma vie. Depuis je suis
devenue experte des sons que font les armes. Du M16 au Kalachnikov, du RPG à
l’horriblement célèbre Orgue de Staline…
Le lendemain, nous n'avons pas été à l'école. Le premier "pas d'école aujourd'hui" qui sera suivi de centaines d'autres...
Des histoires de guerre nous pouvons tous en raconter des milliers. Et nous devrions le faire au lieu de prétendre que rien ne s'est passé. 40 ans après ni guerre, ni paix. 40 ans après, nous n'avons toujours pas ce fait travail de mémoire tellement essentiel à notre survie.
13 avril 75, mon père avait eu 41 ans. J’avais 12 ans et 5
mois. Je ne savais pas encore que
c’était le dernier jour de mon enfance.
Je ne savais pas encore que je ne connaitrais jamais la paix. La vraie.
Josyane Boulos
ENGLISH VERSION
Josyane Boulos
ENGLISH VERSION
April 13, 1975, we were celebrating my Dad’s 41 birthday in Himlaya in the Lebanese mountains at Monique and Fouad Haddad’s. The details of that day have vanished from my memory. And my parents are not there anymore to remind me. But I'm quite sure that Fouad took bunch of pictures, Dad made a thousand puns, Monique made us draw the nature around us, and Mom must have played and run with us. I am sure also that we have picked thyme, played hide and seek in Robert’s room and hold hands while looking at the Sannine peaks and thinking that it would be nice if all our lives would be like that Sunday. We did not know yet, as cellphone did not exist and that our parents had not yet become accustomed to listening to the news on the radio. We did not know yet that our lives would ultimately be like that Sunday, not the Himlaya one but the one created from scratch in Ain el Remmaneh.
If I do not remember the details of the day I will never forget those of the night. Late in the afternoon, we felt, us the children, despite our happy shouting, the panic that swept our parents. I do not know how they knew that "something was wrong in the capital." At an incredible speed, everything was tidy, washed, closed and we were crammed into the cars before we had time to repeat the traditional " 5 more minutes please mom! " The two cars followed each other, the Haddad living in Sodeco, the same neighborhood as us, the future front line. Beirut's streets were deserted. Arriving home, we were greeted by young men armed to the teeth. They were not soldiers. They were dressed in civilian clothes. They made big arm signs and advised us to park the cars in an alley. "Because of snipers" yelled one. "Stay away from windows or balconies and hide the children," shouted another, "Do not turn on the lights of the rooms overlooking the streets." We walked very close to the wall of a wasteland next to our building. My heart was pounding fast till we arrived to our apartment. I was scared.
And that's when I heard the first gunshots of my life. Since then, I became an expert in weapons sounds from M16 to Kalashnikov; from RPG to the horribly famous Stalin Organ ... The neighbors came and went in the stairwell. Young militiamen too. They climbed to the roof at home "because it is well located..." Mom and Dad have squeezed us in the maid room. The only room in the apartment that didn’t face the street. I remember I was shaking like a leaf and I start coughing like crazy. My first stress cough ... There has been so many since! ... To help us sleep Mom made us swallow a double dose of Campho-pneumine, a medicine for coughs slightly soporific. The next day we were not sent to school. The first "no school today," to be followed by hundreds of other ...
War stories… we can all tell thousands of them. And we should do that, instead of pretending that nothing happened. 40 years after: no war, no peace. 40 years later, we still did not do this l “travail de mémoire” so critical to our survival.
April 13, 1975, my father celebrated his 41 years. I was 12 years and 5 months. I didn’t even know it was the last day of my childhood. I didn’t know that I would never live in peace. True peace.
Nous avons eu le même reflexe Josyane: je prepare un article pour Dimanche ou Lundi titré de la même manière. Et hier soir, nous nous sommes téléphonés Philippe (à Chicago) et moi (en Floride), lui aussi était avec nous ce Dimanche à Hamlaya, ainsi que sa famille—Georges, Jacqueline, Danielle. Des souvenirs flous, mais riuen de flou quand à cette terreur que nous avons commences à ressentir, sans la comprendre. Une semaine sans école, les “troubles,” rien de plus. Et ces bruits nouveaux, les tirs, les obus, sons de notre enfance. J’avais oublié le thym et la chamber noir, et aussi les dernières minutes à Hamlaya: comment ont-ils appris la nouvelle? Voilà comment le New York Times a passé la nouvelle le 14 Avril, en première page:
RépondreSupprimerhttp://flaglerlive.com/wp-content/uploads/april-13-1975.pdf
Qu’ils étaient jeunes, nos parents en ces jours. Et comme ils ont si rapidement pris de l’age après ça. Ils en ont été tous blessés.
Superbe. Oui, c'est une détox nécessaire à tout citoyen. Moi je raconte ma guerre sur mon blog. L'effet est époustouflant pour ma santé morale.
RépondreSupprimerJosyane, que de souvenirs! Bien sûr, ces moments qui ont été le prélude d'une guerre interminable demeureront gravés à jamais dans nos mémoires... Nous restons reconnaissants à notre père, Anis Safa, qui contre vents et marées et malgré les réticences de notre mère Honorine, a acheté ce terrain "perdu dans un village au bout du monde" et construit cette villa qui nous aura hébergé et protégé durant ces quinze ans de guerre.
RépondreSupprimer