Si à l'instar de celui de Pagnol, mon père a connu
la gloire, ma mère au lieu d’un château nous a laissé un arbre.
Il y a longtemps, pour ne pas dire il
était une fois, ma mère mangeait un avocat (le fruit…) Une fois terminé, au lieu de jeter le noyau à
la poubelle, elle dévala les escaliers (c’est plus joli que « elle prit
l’ascenseur » ou peut-être l’électricité était coupée) jusqu’au rez-de-chaussée.
Elle prit une petite pelle de jardinier et dans le jardinet commun de
l’immeuble, fit un petit trou et y planta le noyau de l’avocat. Elle l’arrosa
pendant plusieurs jours et un matin, un petit plant perça. A une vitesse
saisissante, l’arbre grandit. On aurait dit une herbe folle. Mais c’était bel
et bien un avocatier.
Qui pendant longtemps ne donna aucun
fruit. Au grand dam de ma mère qui s’était bizarrement attachée à cet arbre. Et
comme c’était une femme curieuse et intelligente, elle se renseigna et apprit
que pour donner des fruits, un avocatier doit être accompagné d’un autre (se
marier quoi. Il ne fallait pas que l’avocatier vive dans le péché vu que nous
voulions des avocats et pas des pêches) Comme elle ne savait pas du tout
comment faire, elle mangea un autre avocat, re-dévala les escaliers, reprit sa
pelle de jardinier et planta auprès de l’autre un nouveau noyau qu’elle décida
mâle, et attendit. Elle avait vraiment pris cette affaire au sérieux, ce qui
est normal quand on parle d’avocat.
L’attente ne fut pas longue. En un rien de
temps, le deuxième arbre poussa et ça a du être une belle histoire d’amour car
sans crier gare, sans gynéco et sans sage-femme, le premier arbre donna des
fruits. Abondement.
Et c'est comme ça qu'au beau milieu du béton, cet arbre planté avec passion, fait
aujourd’hui la taille de 4 étages. Et donne des fruits. Beaucoup de fruits.
Il y a quelques jours, Abdel Karim est
arrivé armé d’un bâton de 3 mètres avec attachée au bout une grande rakwé
(cafetière pour café turc). Avec une célérité étonnante, il nous cueillit 48
fruits d’une seule branche.
Ce matin j’en ai mangé un. Avec du miel et
j’ai pensé à ma mère.
A sa passion de la vie qu’elle nous a
transmis.
A son bonheur d’avoir planté un arbre qui
a porté des fruits.
Au fait qu’on ne laisse après soi que
ce qu’on a semé.
Josyane Boulos