Le 17 octobre 2019, j’étais à Paris. Je préparais un énorme projet pour Mai 2020, la semaine du théâtre Libanais à Paris (qui n’a évidemment pas eu lieu pour cause de Covid-19). Je n’étais pas branchée sur la WIFI en journée, et en rentrant le soir, je me balade sur les réseaux sociaux et mon cœur a commencé à battre. L’émotion m’a envahi. Je pleurais de joie. Mon peuple s’était enfin réveillé. Je ne me lassais pas des images. J’ai réveillé mon fils pour partager avec lui ce que je pressentais comme un moment historique. J’ai très peu dormi cette nuit-là. Pour la première fois depuis très longtemps j’avais hâte d’être à Beyrouth, de me mêler à toute cette foule exaltée et exaltante. Je m’abreuvais des images postées sur Facebook, Insta, Twitter. Je racontais à tous mes amis que le Liban était sauvé. Enfin.
Dès mon arrivée, je me suis jointe aux révolutionnaires. Si je n’étais pas au centre-ville, je participais à des projets de documentaires, de théâtre collectif, d’écriture… Je ne pensais plus qu’à ça…
Et puis est arrivée la déception… La réalisation que notre peuple était profondément désuni, que la sclérose avait atteint la majorité des cerveaux. Si mon expérience de vie au Liban m’avait maintes fois prouvé que le gouffre entre les communautés (qu’elles soient religieuses, politiques, sociales ou culturelles) était colossal, je fus quand même sidérée de voir que nous étions incapables de nous unir pour sauver notre pays mais que nous préférions nous unir pour défendre un quelconque zaim qui nous considère comme de la poussière.
Malgré cela j’ai décidé de résister avec ma seule arme : La culture. J’ai donc décidé de monter la pièce « Sobhieh » au Monnot, malgré toutes les difficultés résultant de la Thawra et de ses ennemis. Que de fois nous avons dû brutalement quitter les lieux en pleine répétition sous les bombes lacrymogènes et la fumée des pneus brûlés.
Mais j’y crois encore. En fait non, je veux y croire encore. Parce que nous n’avons pas le choix. Nous, notre génération, que j’appelle affectueusement les « derniers dinosaures », les témoins de ce que fut un Liban, de ce que nous ont raconté nos parents, sommes condamnés à nous surpasser. Nous avons l’obligation de sauver les meubles. Nous devons être les derniers à quitter le navire ou à le remettre à flots. Et à ceux qui nous accusent de tous les maux, d’être la cause de toute cette gabegie, et nous conseille de laisser la place à la jeune génération, j’aimerais juste rappeler que cette jeune génération qui a été dans la rue le 17 octobre et après le 4 août, est sortie de nos entrailles et a été éduqué par « les derniers dinosaures. » Et je suis tout à fait prête à redescendre dans la rue, à n’importe quel moment, parce qu’il n’y a pas plus noble cause que le Liban.
JOSYANE BOULOS