mardi 5 novembre 2024

Interview en temps de Guerre - Ici Beyrouth

 





Théâtre Le Monnot: une force de proposition en temps incertains



Le théâtre Le Monnot a récemment réuni les acteurs culturels du Liban pour une série de rencontres en pleine période d’instabilité et de crise. L'objectif: trouver des solutions et nourrir des idées pour renforcer le secteur culturel. Josyane Boulos, directrice du théâtre, a partagé avec Ici Beyrouth la vision qui s’est dessinée à l’issue de ces échanges.

Sous la direction de Josyane Boulos, acteurs, metteurs en scène et créateurs se sont réunis au théâtre Le Monnot pour entamer une série de rencontres réflexives sur l’avenir culturel du pays et explorer des pistes d’actions concrètes. Ces échanges ont offert un espace de soutien, d’écoute et de partage pour la communauté artistique et le public du théâtre. Josyane Boulos y a évoqué les premières réflexions et pistes de solutions.

Comment est née l’idée de cette rencontre? 

En ces temps d’incertitude, ces discussions sont indispensables pour préserver et renforcer notre secteur. Le théâtre au Liban, face aux multiples crises, a besoin d'espaces de réflexion et de solidarité pour maintenir sa résilience. Nous avons partagé des idées pour faire en sorte que notre travail reste pertinent et adapté aux besoins de notre communauté.

Pensez-vous que cette initiative puisse s’inscrire dans la durée? 

Le contexte reste difficile, et l'incertitude perdurera. Cependant, nous sommes résolus à poursuivre cette dynamique, en créant des programmes, des ateliers et des productions qui inspirent, apportent espoir et renforcent la cohésion de notre communauté.

Qui a participé à cette première rencontre?

Quatre rencontres ont été organisées, rassemblant près de 60 participants: l’équipe du théâtre Le Monnot, des acteurs, metteurs en scène, et divers créateurs engagés dans la scène culturelle locale. Chaque participant a apporté une perspective unique sur les défis actuels et les moyens d’envisager l’avenir.

Quelles conclusions en tirez-vous?

L’adaptabilité et la créativité sont nos atouts majeurs. Ces discussions ont débouché sur des pistes pour élaborer des spectacles et des programmes en adéquation avec le contexte local, tout en attirant un public diversifié. Il est maintenant temps de transformer ces réflexions en actions concrètes pour redynamiser notre secteur. Nous avons déjà lancé un sondage pour mieux cerner les attentes du public du théâtre et une campagne en ligne pour rappeler l'importance du théâtre en période de crise.

Quel avenir envisagez-vous pour le théâtre dans ces circonstances? 

Même dans l'adversité, nous restons optimistes quant au rôle du théâtre Le Monnot. Nous aspirons à en faire un pilier de transformation et d'inspiration. Le théâtre peut devenir un lieu où les voix de la société résonnent, où des conversations essentielles prennent vie, et où le public trouve un refuge d’espoir et de résilience.



Interview en Temps de Guerre - Orient Le Jour

 



Programmes novateurs, ateliers...au théâtre Monnot, du sur-mesure pour museler la guerre

Sous la houlette de sa directrice Josyane Boulos, l’institution théâtrale a abrité une série de réunions visant à créer des activités à budget réduit pour répondre à la situation que le pays traverse.

vendredi 1 novembre 2024

Journal de Guerre 01 novembre 2024

(AI english translation below) 


 Hier, en célébrant les 150 ans de la Bibliothèque Orientale, j'ai été frappée par la moyenne d’âge des invités, un public passionné, mais vieillissant. Cela m'a menée à cette réflexion sur le monde culturel au Liban. Parce qu’il faut bien le dire : notre scène culturelle, qui jadis fourmillait de jeunes voix et de figures inspirantes, semble aujourd’hui portée par une génération qui avance en âge, encore vibrante, mais souvent sans relève apparente. Le souci est clair : qui prendra le relais pour préserver et renouveler cet héritage culturel et offrir aux jeunes d'aujourd'hui une voix dans ce domaine qui, pourtant, a besoin de sang neuf ? 

 On pourrait se dire que c'est juste une question de temps, mais le constat est là : il faut encourager, former et inspirer cette jeunesse pour qu’elle se sente légitime et nécessaire dans ce secteur. Et puis, sans ces nouveaux talents, comment ce patrimoine culturel pourra-t-il s’adapter aux réalités actuelles ? Les jeunes sont souvent écartelés entre l’envie de s’impliquer et le manque d’accès aux formations, aux espaces de création, et surtout aux ressources. Alors, pourquoi ne pas imaginer des ateliers ou des résidences accessibles où ils pourraient se former et expérimenter sous la houlette d’artistes plus établis, libanais ou étrangers ? Cela pourrait être un premier pas pour casser les barrières et rendre ce monde plus accueillant et inclusif. 

 En parallèle, il faudrait investir les écoles, sensibiliser dès le plus jeune âge pour que la culture devienne une passion, pas juste un passe-temps d’élite. Pourquoi ne pas collaborer avec les établissements scolaires pour organiser des visites, des rencontres avec des artistes, des ateliers interactifs ? La culture devrait être ancrée dans le quotidien, un terrain familier, et non pas un domaine réservé aux grandes occasions ou à une poignée de passionnés. Une autre idée, qui me semble fondamentale, serait de permettre aux jeunes d’avoir une voix réelle dans les décisions culturelles. Pourquoi ne pas intégrer des jeunes dans les conseils de direction ou de programmation ? Ils auraient ainsi la chance d’exprimer leurs visions et de comprendre de l’intérieur les rouages de ce milieu. Et pour eux, ce serait un moyen de se sentir légitimement impliqués, de participer activement au rayonnement culturel du Liban.


 Enfin, il faudrait peut-être sortir des cadres officiels et encourager les initiatives indépendantes. Les jeunes ont besoin de lieux où ils peuvent se retrouver, créer, expérimenter en toute liberté, des collectifs artistiques, des espaces alternatifs où ils seraient libres de s'exprimer sans les contraintes formelles des institutions culturelles traditionnelles. En soutenant ces initiatives et en leur offrant un espace pour exister, on pourrait voir éclore une scène alternative, fraîche et innovante. 

 Ces initiatives, qu’elles soient en ligne ou dans des lieux physiques, sont le terreau d’un renouveau culturel qui est essentiel, surtout en cette période de crise. Mais il ne suffit pas d’attendre que cela vienne de la jeunesse seule ; il revient aussi à notre génération de faire de la place, d’ouvrir des portes, et de montrer que ce domaine a tout à gagner en accueillant de nouvelles perspectives, des sensibilités et des imaginaires multiples. La revitalisation de la scène culturelle libanaise ne se fera pas sans efforts concertés et sans cette vision collective d’un avenir culturel où chaque génération a sa place, son rôle et sa voix. C’est un défi, mais si nous n’agissons pas dès maintenant, c’est tout un pan de notre identité et de notre vitalité culturelle qui risque de s’effacer, emportant avec lui le dynamisme qui a toujours fait battre le cœur de notre culture. 


 Josyane Boulos 

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Yesterday, while celebrating the 150th anniversary of the Bibliothèque Orientale, I was struck by the average age of the attendees—a passionate crowd, but aging. This led me to reflect on the cultural scene in Lebanon. Because let’s face it: our cultural landscape, once buzzing with young voices and inspiring figures, now seems largely carried by a generation that is advancing in age, still vibrant but often without an apparent succession. The concern is clear: who will take up the mantle to preserve and renew this cultural heritage and give today’s youth a voice in a field that so desperately needs fresh blood? 

 One could say it’s just a matter of time, but the reality is evident: we need to encourage, train, and inspire this new generation so they feel legitimate and necessary in this field. Without new talent, how can our cultural heritage adapt to today’s realities? Young people are often caught between a desire to get involved and a lack of access to training, creative spaces, and, most crucially, resources. So, why not envision accessible workshops or residency programs where they can train and experiment under the guidance of more established artists, Lebanese or foreign? This could be a first step toward breaking down barriers and making the cultural world more welcoming and inclusive. 

 Alongside this, we need to invest in schools, raising awareness from a young age so that culture becomes a passion, not just a pastime for the elite. Why not collaborate with schools to organize visits, artist meet-and-greets, and interactive workshops? Culture should be woven into everyday life, a familiar ground, not a field reserved for special occasions or a select few enthusiasts. 

 Another essential idea, in my view, would be to give young people a real voice in cultural decision-making. Why not include them on boards of directors or in programming committees? This way, they would have the chance to express their visions and gain an insider’s understanding of how the field works. For them, it would be a way to feel genuinely involved, actively contributing to Lebanon’s cultural influence. 

 Finally, perhaps we should break free from official structures and encourage independent initiatives. Young people need places where they can gather, create, and experiment freely—artistic collectives, alternative spaces where they can express themselves without the formal constraints of traditional cultural institutions. Supporting these initiatives and giving them a space to exist could foster an alternative scene, fresh and innovative. 

 Whether online or in physical spaces, these initiatives are the fertile ground for a cultural revival that is essential, especially in this time of crisis. But we cannot wait for youth to act alone; our generation must also make room, open doors, and show that this field has much to gain from welcoming new perspectives, sensitivities, and imaginations. Revitalizing Lebanon’s cultural scene will not happen without collective effort and a shared vision of a cultural future where each generation has its place, role, and voice. It’s a challenge, but if we don’t act now, we risk losing a vital part of our identity and cultural vitality, taking with it the dynamism that has always been the beating heart of our culture.

Josyane Boulos 

jeudi 31 octobre 2024

Journal de Guerre 31 octobre 2024

 



(AI english translation below)

Des voitures visées en plein sur une autoroute, des immeubles qui s’effondrent à distance sans toucher le bâtiment d’à côté, un drone de surveillance omniprésent dans le ciel du Liban… Ces derniers mois, la guerre menée par Israël contre le Liban a pris un tournant glacial, un tournant technologique qui en rend la brutalité encore plus frappante. Ces drones, contrôlés de loin, frappent des zones civiles et militaires sans qu’un seul soldat ne soit sur le terrain. Derrière ces machines, on imagine de jeunes soldats, pour qui la guerre se déroule désormais comme un jeu vidéo, à distance, avec une étrange protection face aux répercussions humaines de leurs actes. Ça me fait réfléchir… Que reste-t-il de l’empathie ou du discernement quand la violence devient aussi « facile » et détachée ?

Les jeux vidéo violents, réalistes, pourraient-ils transformer notre rapport à la souffrance et à la violence ? Ne risquent-ils pas de rendre banale la douleur des autres, brouillant nos repères entre le bien et le mal ? 

Les images de violence sont partout dans ces jeux ; elles deviennent familières, presque banales. Gagner, souvent par la force, renforce vite l’idée que la violence est une manière normale d’obtenir ce que l’on veut. À force, ce geste devient presque automatique, détaché de la réalité et de ses conséquences humaines. Des études montrent que l’exposition à ces images peut atténuer la réaction émotionnelle face à la vraie violence. Au lieu du choc ou de la compassion, c’est l’habitude qui prend le dessus, comme si une partie de notre sensibilité s’érodait.

Un autre point qui m’inquiète, c’est cette désensibilisation face à la souffrance des autres. Dans ces mondes virtuels, les personnages blessés ou tués sont remplacés aussitôt, sans émotion ni réaction du joueur. La douleur des autres devient secondaire, presque invisible. Et quand la souffrance humaine devient juste un « mécanisme de jeu », comment croire que cela n’aura aucune répercussion sur la façon dont ces jeunes réagiront à la souffrance dans le monde réel ?

Il y a aussi la question de la déshumanisation. Dans certains jeux, les adversaires ne sont que des cibles à abattre, sans aucune humanité. À force de voir et de reproduire ce schéma, on peut craindre que cette vision se transfère, même inconsciemment, dans la vie réelle, surtout vis-à-vis de ceux qui semblent différents. Cela pourrait influencer profondément la manière dont ces jeunes voient les autres, les réduisant à des « ennemis » plutôt qu’à des personnes.

Ces jeux présentent souvent des situations moralement floues, où les héros sont des anti-héros, des personnages à la morale douteuse qui sont récompensés pour des actes de vengeance ou d’égoïsme. Cette confusion peut rendre difficile la construction d’une éthique claire. Sans un contrepoids venant de la famille ou de l’éducation, ces jeunes risquent de faire leur chemin avec une morale qui valorise la force et la revanche, au détriment de valeurs plus humaines.

Alors oui, je pense qu’il est crucial que les parents, les enseignants, et même les créateurs de jeux soient conscients de cette influence. Il faut qu’on aide les jeunes à naviguer dans ces mondes virtuels tout en restant connectés aux valeurs humaines. Mettre en place un cadre critique pour comprendre ces univers numériques pourrait, je l’espère, préserver leur capacité de discernement et d’empathie.


Josyane Boulos 


Cars targeted directly on the highway, buildings collapsing from a distance without touching the neighboring structures, a surveillance drone omnipresent in Lebanon’s sky… In recent months, the war waged by Israel against Lebanon has taken a chilling turn, a technological turn that makes its brutality even more striking. These drones, remotely controlled, strike both civilian and military areas without a single soldier on the ground. Behind these machines, one imagines young soldiers, for whom war now unfolds like a video game, at a distance, with an unsettling protection from the human repercussions of their actions. It makes me wonder… What remains of empathy or judgment when violence becomes so "easy" and detached?


Can violent, realistic video games transform our relationship to suffering and violence? Could they risk trivializing the pain of others, blurring our understanding of right and wrong?


Violent images are everywhere in these games; they become familiar, almost ordinary. Winning, often through force, quickly reinforces the idea that violence is a normal way to get what you want. Over time, this gesture becomes nearly automatic, detached from reality and its human consequences. Studies show that exposure to these images can dull emotional responses to real violence. Instead of shock or compassion, habit takes over, as if a part of our sensitivity is being eroded.


Another point that worries me is this desensitization to the suffering of others. In these virtual worlds, injured or killed characters are replaced instantly, without emotion or reaction from the player. The pain of others becomes secondary, almost invisible. And when human suffering is just a "game mechanism," how can we believe it will have no effect on how these young people react to suffering in the real world?


Then there’s the question of dehumanization. In certain games, opponents are merely targets to be eliminated, devoid of any humanity. Constant exposure to this pattern might, even subconsciously, transfer into real life, especially toward those perceived as different. This could profoundly shape how these young people view others, reducing them to "enemies" rather than people.


These games often present morally ambiguous situations, where heroes are anti-heroes, characters with questionable morals rewarded for acts of vengeance or selfishness. This ambiguity can complicate the formation of a clear ethical compass. Without a counterbalance from family or education, these young people risk navigating life with a morality that values strength and revenge over more humane virtues.


So yes, I believe it’s crucial for parents, educators, and even game creators to be aware of this influence. We must help young people navigate these virtual worlds while staying grounded in human values. Establishing a critical framework for understanding these digital universes could, I hope, preserve their capacity for empathy and discernment.


Josyane Boulos

dimanche 27 octobre 2024

Journal de guerre 27 octobre 2024

Photo Elie Bekhazi 



(AI English translation below) 

Vivre ici, au Liban, c’est comme avancer dans un tunnel interminable, un tunnel où l’obscurité semble dominer. Chaque jour apporte son lot de défis : obtenir un peu d’électricité, de l’eau, trouver un hôpital qui fonctionne, une école qui accueille encore. Les ressources sont devenues des trésors aussi rares que précieux. Mais même au cœur de ces difficultés, il y a quelque chose de plus fort, quelque chose qui nous garde debout.

La situation des déplacés ici est encore plus complexe. Ils ont quitté leur foyer en quête d’une paix fragile, d’une stabilité précaire. Malgré des conditions de vie indignes, ils avancent, jour après jour. Et dans ce quotidien fait de sacrifices, on voit surgir de petits élans de courage, des gestes de solidarité, des sourires, des liens tissés dans l’adversité. Eux aussi trouvent la force de continuer, d’espérer en un lendemain qui sera, peut-être, plus clément.



Quant à l’avenir, il est vrai qu’il semble flou. Mais il y a, malgré tout, cette étincelle d’espoir, cette envie d’aller plus loin, de reconstruire ce qui a été perdu. Ce n’est pas facile, et parfois il suffit de très peu pour éroder cet espoir. Mais il suffit aussi d’un seul instant de solidarité, d’une main tendue, d’un rire partagé pour raviver cette flamme.


Et, même dans cette incertitude, il y a des choses que l’on ne perd pas : la chaleur humaine, cette rage de vivre, de se serrer les coudes, de reconstruire un avenir ensemble. Oui, ce pays nous met à l’épreuve, mais il nous apprend aussi chaque jour la résilience. Il nous forge et nous rappelle que, même dans les ténèbres, nous sommes capables de lumière, de force, et de vie.


Josyane Boulos 


———

Living here in Lebanon feels like moving through an endless tunnel, a tunnel where darkness seems to prevail. Each day brings its share of challenges: finding a bit of electricity, water, a working hospital, a school still open. Resources have become treasures, as rare as they are precious. Yet even in the heart of these difficulties, there is something stronger, something that keeps us standing.


The situation for displaced people here is even more complex. They left their homes in search of fragile peace, of precarious stability. Despite harsh living conditions, they move forward, day by day. And in this daily life of sacrifice, small acts of courage emerge, gestures of solidarity, smiles, and bonds forged through adversity. They, too, find the strength to keep going, to hope for a tomorrow that might, perhaps, be gentler.


As for the future, it’s true that it feels unclear. Yet there remains, despite everything, a spark of hope, a desire to go further, to rebuild what has been lost. It’s not easy, and sometimes it takes very little to erode that hope. But a single moment of solidarity, an extended hand, a shared laugh, is enough to rekindle that flame.


And even in this uncertainty, there are things we don’t lose: human warmth, the fierce will to live, to support each other, to rebuild a future together. Yes, this country tests us, but it also teaches us resilience every day. It shapes us and reminds us that, even in the dark, we are capable of light, strength, and life.


Josyane Boulos