La porte était fermée, signe universel de « ne dérangez pas », sauf, visiblement, pour une certaine catégorie d’hommes. Et soudain — BOUM — la porte explose comme si un ouragan, un coup d’État et la Coupe du monde entraient en même temps
J’étais au Monnot, dans mon bureau, plongée dans des mails existentiels — ceux qui décident si un spectacle vivra, mourra ou devra apporter ses propres chaises — accompagnée de Ramy, assistant producteur concentré, silencieux. Ambiance zen. Une scène rare au Monnot.
La porte était fermée, signe universel de « ne dérangez pas », sauf, visiblement, pour une certaine catégorie d’hommes.
Et soudain — BOUM — la porte explose comme si un ouragan, un coup d’État et la Coupe du monde entraient en même temps. Ramy et moi bondissons de nos chaises, synchronisés, comme deux vétérans du bruit soudain. Le vrai PTSD libanais, celui qui se déclenche dès qu’une porte claque.
Deux spécimens surgissent : cheveux gominés, lunettes fumées indoor, parfums en Dolby Surround, vestes scintillantes prêtes pour le tapis rouge… de l’aéroport. Ils cherchent manifestement quelqu’un, probablement leur ego.
— Mais ça ne va pas d’entrer comme ça ? je lâche, canal mère libanaise activé. La porte était fermée, on ne t’a pas appris à taper ?
— Ah euh… madame… mille excuses…, bredouille le premier, visiblement le mâle-alpha-auto-déclaré du duo. C’est comme ça qu’on fait à Bagdad,
ajoute-t-il, en guise de justification culturelle, anthropologique et diplomatique.
Ah, Bagdad. Ce n’était pas sur la liste de réponses possibles, mais on prend.
Je respire. Je le reçois. Je suis civilisée, moi — en théorie. Il veut tourner un clip sur notre scène. Très bien. Qu’il visite. Qu’il rêve. Qu’il tourne. Qu’il apprenne aussi à frapper aux portes : cadeau de la maison.
À son retour, il s’arrête devant la même porte, désormais ouverte… et tape. J’ai éclaté de rire.
Le lendemain — même heure, même ambiance studieuse. Porte fermée. Ramy et moi toujours concentrés.
BOUM.
La porte s’ouvre avec le naturel d’un bélier en pleine saison des amours.
PTSD, round 2 : attaques cardiaques simultanées.
Cette fois, c’est un livreur porteur d’une caisse — ma victime du jour.
Je hurle :
— Non, non, non, tu ressors.
Il cligne.
— Tu fermes la porte.
Il obéit.
— Tu tapes. Et tu attends que je dise « entre ».
Il obtempère. Clairement, il ne comprend pas ce qu’il lui arrive. Il : toc-toc.
— Entre.
Il rentre, mais quelque chose en lui — ses testostérones, probablement — décide de tenter un bras de fer d’ego. Il redresse les épaules, genre « je suis un homme qui transporte une caisse, respecte-moi ». Il essaye de hausser la voix : « Meché el 7al machina » et autres déclarations tonitruantes.
Malheureux.
Les miennes de testostérones ont fait sciences politiques, droit constitutionnel et autodéfense culturelle. Les siennes ont abandonné en 7ᵉ.
Je lui ordonne de poser sa caisse et de ficher le camp avant que je ne m’énerve vraiment. Il part, perplexe, dignité en vrac mais en marmonnant quand même.
Je regarde la caisse : quinze copies d’un texte de pièce programmée en mars. J’appelle l’auteur, hilare, pour lui raconter l’épisode. Il me rassure aussitôt : « Tu as très bien fait, et rassure-toi, il ne travaille pas au bureau. »
Moralité ?
Le théâtre commence avant la scène. Parfois, dès la poignée de porte.
Josyane Boulos
Paru sur https://beyrouth360.com/2025/11/30/testosterone-et-portes-fermees/






