Un petit Village |
Sama Beirut vu du "Village" |
Il s’appelle Omar. D’un âge indéfini. Il
habite un coin de village à Sodeco, en plein jungle urbaine. Un petit village au
fond d’une impasse, oublié par les promoteurs avides de destruction et de
« moderne ».
Je suis née à Sodeco. Avant la guerre dite
civile. J’y ai connu les francs-tireurs, les abris, les soldats de tout bord,
la peur mais aussi l’amitié, les fous-rires, la solidarité.
Au bas de « mon » immeuble, (que
nous avons déserté en 1982), il y avait une pâtisserie. « La
Pauline ». Je n’ai jamais su pourquoi ce nom. Le pâtissier y vendait de
délicieux « Atayef ». Aucun
des 3 n’existe plus.
Dans cette impasse donc, habite Omar. Et
mes bureaux sont juste à côté. J’ai pris l’habitude de me garer dans ce petit
coin tranquille.
Un jour, curieux, Omar m’adresse la
parole.
- Tu habites dans le coin ?
- Non, je travaille juste à côté. Mais j’ai
longtemps habité ici. Je ne sais pas si tu te rappelles, l’immeuble ou il y
avait la pâtisserie la Pauline ?
- Bien sur que je me rappelle. Elle
appartenait à mon frère Hafiz.
- Quelle coïncidence ! Comment il va
ton frère ?
- Il est mort dans les années 90. Dans son
sommeil.
Et pendant 5mn, me parle de son frère et
des souvenirs de guerres dans le coin. Et puis :
-
Tu es
la fille de qui toi ?
-
Jean
– Claude Boulos. Tu connais ?
-
Qui
ne connaît pas ! Un grand grand homme. Il était très ami avec mon frère
Hafiz. Que Dieu ait leurs âmes.
Je vois en écrivant le sourire de ma mère.
Mon père était ami avec tout le monde, et depuis son décès, il a encore plus
d’amis.
Et depuis cette conversation, nous sommes
devenus « amis» Omar et moi.
Si pour une raison quelconque (voyage,
manque de place…) je ne me gare pas dans l’impasse pendant quelques jours, il
m’accueille avec un :
-
Hamdellah
al salamé ! Où tu as disparu ? Allah Yer7am bayek (que Dieu ait l’âme
de ton père). On en fait plus des comme ça ! C’était un grand ami de mon
frère.
Immanquablement, l’accueil est le même. Et
j’adore. Et immanquablement il enchaine sur le chantier du gratte-ciel
« Sama Beirut » qui fera 50 étages. Juste en face du petit village.
-
Jusqu’où
tu crois qu’ils vont arriver ?
-
Jusqu’au
ciel, je réponds à chaque fois. Et à chaque fois il rit. Et ca me met de bonne
humeur.
Et Omar n’est pas con. Omar a son avis à
dire. Quand les « choses » vont mal au Liban (donc souvent), il y va
de son : « Nous aurions du rester sous mandat français. Nous sommes
trop nuls pour gouverner tout seul. Nous aurions été tous français, plus besoin
de visa, et moi j’aurais parlé français comme un belbol (Belbol=moineau,
expression libanaise voulant dire exceller dans la langue)
Je souris. Ceci dit, vu son âge, il aurait
pu apprendre la langue à l’époque… surtout que selon lui son père aurait
rencontré De Gaulle et aurait travaillé pour je ne sais plus quel officier ou
diplomate français.
Et un jour, j’ai vu Omar faire les
poubelles du quartier. Ca m’a fendu le cœur. Le lendemain, ne voulant pas lui donner de
l’argent pour ne pas le blesser, je lui demande si je pouvais
faire quelque chose pour lui.
Immédiatement il me répond : « je voudrais des vêtements et
des chaussures de chez ton père, Allah Yerhamo, on n’en fait plus des comme
lui »
Il en a récupéré un tas…
Et ce matin, en me garant, sous ses
directives bien précises, je me suis dite « je vais parler de lui dans mon
blog.»
Après avoir salué l’âme de mon père et les
hauteurs du gratte-ciel, je lui demande si je peux le prendre en photo. Tout
excité, il accepte. Il reprend sa place sur le perron sur une chaise qui doit
avoir son âge et me souris.
Je lui montre sa photo sur mon IPhone et
il me sort une perle.
-
C’est
incroyable ces machines. Toutes faites à l’étranger, tu sais. Et nous tout ce
qui nous importe c’est de savoir si nous sommes chrétiens ou musulmans,
sunnites ou chiites. Nuls je te dis, nous sommes nuls ! On n’arrivera
nulle part. Rien que des incapables.
Omar, je t’adore. Je te souhaite une très
longue vie à observer les étages qui poussent du gratte-ciel de Sodeco.