jeudi 22 août 2013

BRUSHING, BIGOUDIS ET TRALALA.

Photo J.Boulos

           

Hier chez mon coiffeur, j’ai rencontré la Castafiore. La vraie. Celle qui a inspire Hergé. Le même nez, les mêmes cheveux. La tenue à peine différente. A chaque fois qu’elle appelait “Hanaaaaane” pour lui demander un verre d’eau, un café ou autre, j’entendais “Irmaaaaaa”. J’espérais – priait même- qu’elle entonnerait l’air des bijoux. Ardemment. J’aurais filmé et posté sur Youtube. Mais non. La Castafiore s’est contenté de contribuer sans complexes à la propagation des rumeurs les plus diverses.
Parce que les rumeurs naissent-aussi-, chez le coiffeur les : “tu sais ce qu’on a vu la fille des Khoury au Sky avec le fils Haddad alors qu’elle est fiancée à Karim ?” et les “Yii, j’ai entendu que la fille de ta voisine “parlait” avec le jeune Fadi, c’est vrai?”, fusent et chacune y va de son petit commentaire qui après le brushing deviendra parole d’évangile. Et quand ce ne sont pas les dames qui papotent, les garçons-coiffeurs se mettent de la partie et ne manquent pas de vous rapporter ce qu’ils ont entendu par la bouche de la cliente précédente. “Vous avez su que le garde du corps du ministre a fait un accident avec Mme L.? Et qu’il n’a même pas voulu lui payer?”  Et moi j’y vais de mon hypocrite: “Noon, ce n’est pas possible! Yaay quel pays! Si ça continue comme ça on va à notre perte.”

Quand je vais chez le coiffeur, c’est souvent à la dernière minute, entre deux rendez-vous,  en jeans et T-shirt ou en chemise et pantalon, une tenue très sport dans laquelle je suis à l’aise et avec laquelle je ne risque pas une crise cardiaque si une goutte de teinture, de crème ou d’huile venait malencontreusement atterrir sur mes épaules. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Pour certaines, la visite chez le coiffeur équivaut à la sortie du dimanche, dans ce qu’elle avait d’exceptionnelle au début du 20ème siècle. D’ailleurs, elles mettent la tenue pour. Vous avez sûrement dans votre environnement coiffeur: une adepte du cuir moulant blanc à appliques dorées, une inconditionnelle du caleçon léopard- talons aiguilles, une femme aux lèvres collagénées peintes en mauve ou noir, une blonde décolorée à outrance, une septuagénaire qui veut absolument faire quadragénaire.
Et en attendant mon tour, et pour ne pas être traitée de snob prétentieuse, je fais la conversation. C’est très enrichissant. Sans elles, sans ses dames qui mémorisent “Al Chabaka” et “Mondanités”, jamais je n’aurais su que Haifa s’était mariée, puis a divorcé, que Najwa en était à sa 5ème intervention chirurgicale esthétique, que la femme de Ragheb s’était lancé dans la bijouterie, et que Magida, Elissa et Setrida avait suscité la colère de l’empereur Michel. Je dormirais moins bête…
C’est aussi grâce à elles que vous êtes à jour côté télé et que vous savez ce qui est arrivé au femmes du Sultan, à Anthony Touma, à «Ghanoujet baya » (la chérie de son papa), comment réagit la pauvre Cassandra (ou Térésa, ou Maria-Céleste, ou vous ne savez plus quelle mexicaine ou turque) aux complots de sa belle-mère, et quelle bagarre a opposé les invités de Marcel ou ceux de vous ne savez plus qui. Ce soir au diner vous n’aurez pas l’air d’une gourde.
Chez votre coiffeur, il y a toujours les éternelles insatisfaites, celles à qui rien ne plait et qui se font refaire 10 fois la frange alors que vous êtes là toute bête à voir vos cheveux sécher. Parce que vous vous attendez patiemment en faisant un petit geste poli de temps en temps, juste pour rappeler votre présence. C’est que vous ne voulez pas du tout ressembler aux furies qui rouspètent à (très) haute voix que ça fait des heures qu’elles sont là et que si ça continue elles iront autre part (sauf qu’elles ne le feront jamais, on divorce très difficilement de son coiffeur). Surtout qu’à plusieurs reprises vous avez surpris les regards discrets mais goguenards que s’échangeaient les employés du salon. Eternelle insatisfaite aussi celle qui pique une crise de nerfs parce que la couleur  de la teinture est moins ou plus rousse qu’elle ne le voulait et qui vocifère et invective le malheureux figaro qui lui promet et jure par sa mère, son père et les cendres de sa grand-mère que la couleur changera au premier shampooing et que si elle n’est toujours pas contente c’est “avec ses yeux” qu’il lui refera la couleur, tout en lui assurant et prenant à témoin toutes les présentes que cette teinte lui va à merveille, “qu’elle a été crée pour elle”. Et si ce n’est pas la couleur, c’est la coupe qui est trop courte ou pas exactement comme sur la photo, photo que la dame brandit en disant “je t’ai dit que je la voulais exactement comme ça”
“Mais Yaaa Madâme, sur la photo, le mannequin a une permanente (ou le cheveux fins ou épais, ou n’importe quoi)”, “Non, Non, vraiment Joe, ils ne sont pas beaux” alors que le pauvre vient de passer 20 mn à se débattre avec la tignasse de sa “victime” qui n’arrêtait pas de donner son avis (plus court ici, moins ici…) pendant toute la session. C’est cruel. C’est comme si après que vous ayez passé 1 heure à préparer un plat, on vous dit: « c’est dégeulasse. » Pas facile à digérer!!
Et comme vous êtes toujours discrète et souriante, votre coiffeur vous considère comme une femme “ bien et de bonne famille” et prend un plaisir fou à vous montrer l’album de ses dernières créations et ses photos dans les revues. Ça vous flatte et donc vous l’aimez bien votre coiffeur, surtout quand il vous réussit une coupe qui vous dispense d’aller continuellement chez lui.

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