Photo J.Boulos |
Parce que les rumeurs naissent-aussi-, chez le
coiffeur les : “tu sais ce qu’on a vu la fille des Khoury au Sky avec le
fils Haddad alors qu’elle est fiancée à Karim ?” et les “Yii, j’ai entendu
que la fille de ta voisine “parlait” avec le jeune Fadi, c’est vrai?”, fusent
et chacune y va de son petit commentaire qui après le brushing deviendra parole
d’évangile. Et quand ce ne sont pas les dames qui papotent, les
garçons-coiffeurs se mettent de la partie et ne manquent pas de vous rapporter
ce qu’ils ont entendu par la bouche de la cliente précédente. “Vous avez su que
le garde du corps du ministre a fait un accident avec Mme L.? Et qu’il n’a même
pas voulu lui payer?” Et moi j’y vais de
mon hypocrite: “Noon, ce n’est pas possible! Yaay quel pays! Si ça continue
comme ça on va à notre perte.”
Quand je vais chez le coiffeur, c’est souvent à la
dernière minute, entre deux rendez-vous, en jeans et T-shirt ou en chemise et pantalon,
une tenue très sport dans laquelle je suis à l’aise et avec laquelle je ne
risque pas une crise cardiaque si une goutte de teinture, de crème ou d’huile
venait malencontreusement atterrir sur mes épaules. Mais ce n’est pas le cas
pour tout le monde. Pour certaines, la visite chez le coiffeur équivaut à la
sortie du dimanche, dans ce qu’elle avait d’exceptionnelle au début du 20ème
siècle. D’ailleurs, elles mettent la tenue pour. Vous avez sûrement dans votre
environnement coiffeur: une adepte du cuir moulant blanc à appliques dorées,
une inconditionnelle du caleçon léopard- talons aiguilles, une femme aux lèvres
collagénées peintes en mauve ou noir, une blonde décolorée à outrance, une
septuagénaire qui veut absolument faire quadragénaire.
Et en attendant mon tour, et pour ne pas être traitée
de snob prétentieuse, je fais la conversation. C’est très enrichissant. Sans
elles, sans ses dames qui mémorisent “Al Chabaka” et “Mondanités”, jamais je
n’aurais su que Haifa s’était mariée, puis a divorcé, que Najwa en était à sa 5ème
intervention chirurgicale esthétique, que la femme de Ragheb s’était lancé dans
la bijouterie, et que Magida, Elissa et Setrida avait suscité la colère de
l’empereur Michel. Je dormirais moins bête…
C’est aussi grâce à elles que vous êtes à jour
côté télé et que vous savez ce qui est arrivé au femmes du Sultan, à Anthony
Touma, à «Ghanoujet baya » (la chérie de son papa), comment réagit la
pauvre Cassandra (ou Térésa, ou Maria-Céleste, ou vous ne savez plus quelle
mexicaine ou turque) aux complots de sa belle-mère, et quelle bagarre a opposé
les invités de Marcel ou ceux de vous ne savez plus qui. Ce soir au diner vous
n’aurez pas l’air d’une gourde.
Chez votre coiffeur, il y a toujours les
éternelles insatisfaites, celles à qui rien ne plait et qui se font refaire 10
fois la frange alors que vous êtes là toute bête à voir vos cheveux sécher.
Parce que vous vous attendez patiemment en faisant un petit geste poli de temps
en temps, juste pour rappeler votre présence. C’est que vous ne voulez pas du
tout ressembler aux furies qui rouspètent à (très) haute voix que ça fait des heures
qu’elles sont là et que si ça continue elles iront autre part (sauf qu’elles ne
le feront jamais, on divorce très difficilement de son coiffeur). Surtout qu’à
plusieurs reprises vous avez surpris les regards discrets mais goguenards que
s’échangeaient les employés du salon. Eternelle insatisfaite aussi celle qui
pique une crise de nerfs parce que la couleur
de la teinture est moins ou plus rousse qu’elle ne le voulait et qui
vocifère et invective le malheureux figaro qui lui promet et jure par sa mère,
son père et les cendres de sa grand-mère que la couleur changera au premier
shampooing et que si elle n’est toujours pas contente c’est “avec ses yeux”
qu’il lui refera la couleur, tout en lui assurant et prenant à témoin toutes
les présentes que cette teinte lui va à merveille, “qu’elle a été crée pour
elle”. Et si ce n’est pas la couleur, c’est la coupe qui est trop courte ou pas
exactement comme sur la photo, photo que la dame brandit en disant “je t’ai dit
que je la voulais exactement comme ça”
“Mais Yaaa Madâme, sur la photo, le mannequin a
une permanente (ou le cheveux fins ou épais, ou n’importe quoi)”, “Non, Non,
vraiment Joe, ils ne sont pas beaux” alors que le pauvre vient de passer 20 mn
à se débattre avec la tignasse de sa “victime” qui n’arrêtait pas de donner son
avis (plus court ici, moins ici…) pendant toute la session. C’est cruel. C’est
comme si après que vous ayez passé 1 heure à préparer un plat, on vous dit:
« c’est dégeulasse. » Pas facile à digérer!!
Et comme vous êtes toujours discrète et souriante,
votre coiffeur vous considère comme une femme “ bien et de bonne famille” et
prend un plaisir fou à vous montrer l’album de ses dernières créations et ses
photos dans les revues. Ça vous flatte et donc vous l’aimez bien votre
coiffeur, surtout quand il vous réussit une coupe qui vous dispense d’aller
continuellement chez lui.
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