Ecrit par Scarlett Haddad dans l'Orient-Le jour du 30 juin 2015
En un mois et demi, Josyane Boulos a pris 20 kg. Elle venait d'apprendre que sa fille, Valérie, 4 ans, était « différente ». L'annonce l'a d'abord choquée, puis elle a protesté, convaincue que le médecin se trompait, avant de rentrer chez elle et de prendre pour la première fois de sa vie un somnifère... qui n'a évidemment eu aucun effet. La réalité était là et il fallait l'affronter, avec son lot de souffrances, l'atroce sentiment de culpabilité et la peur. « Mon corps a réagi en s'enveloppant d'une ceinture de graisse », dit-elle, avec le sens de la dérision qui ne la quitte jamais. Mais cette femme sûre d'elle, indépendante, dynamique et active a les larmes aux yeux lorsqu'elle parle de sa fille qui a aujourd'hui 24 ans. « Elle m'a tellement appris, dit-elle. La patience, la tolérance et le fait d'accepter ce que la vie nous donne, sans vouloir toujours plus. Valérie m'a donné une force inouïe. »
Depuis le début, Josyane a choisi de traiter sa fille comme un être normal, sans se laisser aller à la pitié ou à l'indulgence. Elle a voulu à tout prix lui donner une certaine autonomie, surtout après qu'une psychologue française lui ait dit : « Ne vous faites pas d'illusions. À douze ans, elle sera juste capable de coller des enveloppes. » Et finalement, aujourd'hui, Valérie est autonome, plus même, elle a ses activités et surtout elle est épanouie et heureuse. « C'est un rayon de soleil et elle nous donne tant d'amour ! Elle n'est jamais dans le jugement des autres, elle se contente de peu et elle me montre chaque jour la chance que j'ai de l'avoir. »
Mais cela n'a pas toujours été facile. Josyane a commencé par traîner sa fille de psychologue en expert, avant de l'inscrire dans une école spécialisée. Mais elle sentait que sa fille avait besoin de s'exprimer autrement. Comme elle ne trouvait pas de structure qui lui convenait, elle a décidé de créer un centre de loisirs pour les enfants différents. Et c'est ainsi qu'elle a eu la réponse à la question qui, depuis l'annonce de la « différence de sa fille », n'avait cessé de la hanter : « Pourquoi moi ? »
Parce que, justement, elle a suffisamment de force pour changer les choses !
L'Association de Beyrouth pour le développement social, dirigée par Saleh Farroukh, s'enthousiasme pour son projet et lui trouve un local à Badaro dont elle continue d'ailleurs à payer le loyer. C'est ainsi qu'est née l'association al-Majal, qui gère ce centre et qui est actuellement dirigée par le Dr Antoine Chartouni. Le centre accueille donc une vingtaine d'enfants différents et leur apprend des activités adaptées à leurs capacités. Les enfants ayant grandi, il a fallu trouver autre chose. C'est ainsi que le centre de loisirs a commencé à se transformer en boulangerie-pâtisserie où les « jeunes différents » font des gâteaux, des petits-fours et du pain que Josyane se charge de vendre. Elle a même réussi à convaincre une quarantaine d'amis d'acheter chaque mois un kilo de produits du centre. Ce n'est certes pas beaucoup pour faire tourner la machine, mais le Fonds koweïtien participe également au financement et les jeunes ont ainsi une activité de 8h à 17h. « Valérie se prend un peu pour la fille de la directrice, déclare Josyane dans un sourire, mais elle est tellement heureuse dans ce centre. »
Pour Josyane, c'est non seulement une grande fierté mais aussi une grande victoire de voir sa fille devenir de plus en plus autonome. Elle est à présent capable de faire elle-même quelques courses quand on l'attend en voiture et, avec elle, chaque jour est une nouvelle aventure que sa mère est heureuse de vivre. Josyane Boulos a certes bénéficié au début de l'appui de ses parents, Blanche et Jean-Claude Boulos, décédés hélas à deux ans d'intervalle, et sa grande angoisse est aujourd'hui de disparaître à son tour sans avoir créé une structure capable d'assurer un avenir à sa fille. Elle pense d'ailleurs à créer un foyer pour les enfants différents devenus des adultes. Un projet bien ambitieux.
Pour l'instant, il s'agit surtout d'assurer le financement d'al-Majal et de la boulangerie-pâtisserie. C'est pourquoi elle a pris en charge une pièce de théâtre française, Bar, de Spiro Scimone, dans une mise en scène de Jérémy Lemaire, qui se produira au théâtre Monnot du 16 au 19 juillet...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire