Tous les jours on nous demande de nous
battre.
Que ce soit dans les journaux, à la télé,
à la radio, sur Facebook, sur Twitter, dans les blogs, dans les salons, chez le
coiffeur… tellement partout que même dans nos rêves nous nous sentons coupables
si on ne se bat pas. Alors que dans nos rêves tout ce qu’on veut, c’est quitter
son boulot, prendre un billet pour une île lointaine, trouver l’homme/femme qui
ne nous fera pas chier et ne jamais revenir. Et si tu révèles ton rêve à
quelqu’un on te dit : “ toi la battante?
Mais non! Tu as un tas de défis à relever ! Tu t’ennuierais.»
Et si, justement, on a envie de
s’ennuyer ? Non ! Tu n’as pas le droit ! Il faut te battre.
Il faut brandir haut les fanions et t’engager dans la lutte.
Lutter pour les droits de la femme, lutter
pour celui des gays, lutter contre la torture, descendre dans la rue pour avoir
un président (pourquoi ? pour qu’on te phagocyte ta lutte ?),
afficher des arcs-en-ciel pour prouver que nous ne sommes pas homophobes, se
défendre parce que nous ne le sommes pas (« Quoi tu es pour le mariage
gay ? » « Oui et je t’emmerdes »), militer pour le droit
des migrants, militer pour la nationalité des enfants issus d’un mariage mixte
(mère libanaise, père non-libanais), défendre le droit de nos amis les bêtes et
s’excuser pour avoir tué un moustique de sang-froid, se lever le matin et
lutter contre les instincts meurtriers dirigés vers le chantier voisin qui dure
depuis 4 ans, prendre la voiture et lutter contre les instincts meurtriers
dirigés vers les chauffeurs de taxi et de vans, les gardes du corps, les
blondasses qui ternissent la réputation des femmes au volant, lutter pour
garder le sourire parce qu’il faut rester positif, lutter pour ignorer la
poussée violente du béton, lutter contre ton envie de manger des glaces et du
chocolat toute la journée pour éviter les « Yiii tu as
grossi ! », en manger quand même et lutter contre ton sentiment de
culpabilité, lutter contre l’envie folle de dégrafer ton soutien-gorge en plein
rendez-vous parce que merde pourquoi on a inventé ce truc-là (seules les femmes
comprendront), en acheter un neuf quand même parce que ça excite ton mec de le
dégrafer et lutter contre les pensées genre : dégrafe-t-il celui d’une
autre ?, lutter contre la jalousie parce qu’il est quand même fichtrement
beau ton mec, lutter contre ton envie de
ne rien foutre mais dépenser quand même ton argent, que tu as un mal fou à
faire, pour en bonne citoyenne lutteuse,
faire rouler l’économie, lutter contre ton envie de juste dormir, dormir,
dormir pour aller voir the Voice (à part Hiba Tawaji, tu ne sais même pas qui
est à l’affiche), John Legend (à part cette chanson là, euh…tu ne sais même pas
la fredonner… tu te demandes pourquoi il est une Legend ?), payer une
fortune pour aller voir une autre légende d’origine arménienne (tu as
invité tes parents) parce que précisément tu te bats pour la reconnaissance du
génocide arménien, bref aller partout pour prouver que tu te bats contre la
montée de l’extrémisme Daechien (on devrait dire Daechiotte…) et prouver au monde entier (qui s’en fiche
comme de l’an 40) que le libanais est un peuple incroyablement résistant, qui
précisément se bat contre vents et marées.
Et puis quand après avoir passer ta
journée en mode combat, on te dit « tu as l’air fatiguée,
pourquoi ? » résister à l’envie de tabasser la personne qui pose
cette question.
Elle est où cette île ?
Josyane BOULOS
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