L’ARTISTE DE LA SEMAINE Zéna ZALZAL | OLJ
24/05/2019
Sa truculente interprétation d’une « tante d’Achrafieh » dans la pièce « Monsieur Béchara » d’Alexandre Najjar (mise en scène par Lina Abiad) a enchanté les spectateurs. « C’est pourtant un rôle aux antipodes de ce que je suis », assure la comédienne et productrice dans un grand éclat de rire.
Elle débarque dans les locaux de L’Orient-Le Jour encore auréolée du succès de son tout récent rôle. Celui de Madame Gilberte, vieille fille à l’ancienne, bigote, conservatrice et potinière, dont la principale activité est de materner Monsieur Béchara (qui donne son nom à la pièce) son philosophe de frère, un vieux garçon qui va s’amouracher sur le retour d’une danseuse du ventre… « Une totale composition, que j’ai peaufinée en me glissant entièrement dans la peau du personnage, au point de regarder la vie à travers les yeux de Gilberte », assure Josyane Boulos.
La comédienne a d’ailleurs une amusante propension à évoquer les personnages qu’elle a campés comme si elle parlait de personnes réelles et faisant partie de ses intimes. « Yvonne (dans L’Inattendue, une précédente pièce d’Alexandre Najjar) était en apparence dure, mais c’était juste une femme au cœur emmuré », dira-t-elle par exemple. Et d’ajouter : « C’est un rôle qui m’a marquée, qui était palpitant mais qui m’a fait souffrir. Je pleurais vraiment sur scène en interprétant cette maman d’enfant handicapé. Parce que moi aussi, j’ai une enfant qui souffre de retard mental. » Voilà, c’est dit! Josyane Boulos est certes une comédienne, une productrice, une madame 100 000 volts, ou même 100 000 projets, mais elle est, avant tout, une maman aimante, une maman courage qui n’oublie jamais ses deux amours : Christophe et Valérie.
C’est pour cette dernière, âgée aujourd’hui de 28 ans, qu’elle a fondé en 2001 l’association al-Majal. Une structure qui accueille les enfants à besoins particuliers pour leur offrir des cours de musique, de chant et de danse adaptés à leur rythme. Un centre de loisirs qu’elle gère avec un directeur et des thérapeutes, « et qu’on a développé, au fur et à mesure que les enfants grandissaient, en y greffant une boulangerie. Ce sont eux qui préparent des biscuits et de petits gâteaux que nous revendons pour subvenir aux besoins de l’association », signale-t-elle, les yeux brillants d’un mélange de tendresse et de fierté.
Les années télé
Des idées et du dynamisme, cette battante en a à revendre. En particulier dans le domaine du spectacle et de la scène théâtrale. Une passion de toujours, alimentée par le bouillon culturel où elle a été plongée dès son enfance auprès de son père, Jean-Claude Boulos, l’un des pionniers de la télé au Liban.
C’est d’ailleurs auprès de lui qu’en véritable enfant de la balle elle fait, à 18 ans, ses premières armes sur les plateaux de télévision en coproduisant et présentant des émissions de jeu et de variétés, telles que Mala3eb, Les visiteurs du soir ou Ahad 3al-Hawa qui ont cartonné au cours des années 1980.
« Cette expérience a été fondatrice, pour moi. Ce n’était pas facile de faire de la télé en temps de guerre. J’ai appris à être très créative. Et puis l’amour des téléspectateurs a été extrêmement porteur, même si j’ai toujours été très humble vis-à-vis de la notoriété. En fait, ce qui me touche quand les gens me reconnaissent et m’abordent encore parfois, après toutes ces années, c’est de penser que d’une certaine façon, notre présence à mon père et moi a apporté du baume au cœur des gens durant une période difficile. »
En 1989, elle est sur les plateaux lorsque les locaux de la chaîne à Hazmieh sont bombardés. Enceinte de son premier enfant, elle décide d’arrêter l’animation et de poursuivre uniquement son travail dans la production. Seule aux commandes, cette fois… Jusqu’en 1996. Cette année-là, Jean-Claude Boulos est nommé PDG de Télé-Liban, « et ne voulant pas être accusé de népotisme », il lui demande de quitter totalement l’univers de la télé. « Je l’ai fait à contrecœur, parce que je foisonnais alors d’idées, mais, par la suite, j’ai compris qu’il avait raison », confie celle qui va ainsi clôturer le premier chapitre de sa vie professionnelle. Pour en ouvrir un second, un an plus tard, en fondant Urban Art, l’une des toutes premières compagnies d’événementiel au Liban.
La scène…
Sauf que pour cette passionnée de scène, qui a hérité de son père un talent inné pour la comédie et le goût de la francophonie, ce nouveau domaine d’activité ne pouvait se limiter à l’organisation de grands mariages et événements mondains, mais devait forcément s’étendre à la production de concerts, de pièces de théâtre, de spectacles de danse ou de rue, locaux ou importés. « Plus de 75 jusqu’à aujourd’hui », comptabilise-t-elle, fièrement.
En 2016, elle se sépare de son associé pour lancer 62 Events by Josyane Boulos, une boîte dédiée exclusivement à la production de pièces locales et étrangères, au Liban comme à l’étranger. À titre d’exemple, elle a produit notamment les deux dernières pièces d’Alexandre Najjar et Lina Abiad dans lesquelles elle a joué, et a « emmené », entre autres, la Vénus de Jacques Maroun à Paris.
Entre-temps, s’étant libérée en 2005 des chaînes d’un mariage malheureux, elle prend la décision « de faire tout ce (qu’elle) aime dans la vie avant qu’il ne soit trop tard ». C’est ainsi qu’elle se lance avec gourmandise, une sorte d’épicurisme cérébral, sur les planches où elle s’amuse à jouer tous les registres de la comédie et du drame. Dans les pièces d’Alain Plisson, de Betty Taoutel (Ekher Beit bel Gemayzeh, Freezer) de Lina Abiad, et même dans des films à l’occasion, comme Listen de Philippe Aracting ou Wanted de Nibal Arakji.
… Et Julio
Sinon, dès qu’elle a un moment de libre, cette superactive qui a « trop peur de mourir, si (elle) s’arrêtait », écrit des pièces pour adultes et enfants (3aj2et seyr ; Online ; Les gens de La Fontaine), lit avidement – « Je viens de terminer en quasiment une nuit blanche le dernier livre de William Boyd » – et trouve même le temps de rêver, les yeux ouverts, d’avoir sa propre salle de théâtre. « Ou, à défaut, d’aller vivre sur une île, à Antigua ou à Ibiza, un peu à la manière hippie », confie cette ex-groupie passionnée de Julio Iglésias, qui affirme avoir eu une rencontre mémorable en 1980 avec le chanteur de charme espagnol. Une histoire croustillante, semble-t-il, mais dont elle réserve la narration à ses Mémoires, « que je rédigerai sûrement un jour », assure-t-elle.
18 novembre 1962
Naissance à Beyrouth.
1975
Le début de la guerre, la fin de l’innocence.
1982
Mes débuts à la télé. Un moment phare dans ma carrière.
1986
Mon mariage qui allait donner naissance à mes deux amours Christophe et Valérie.
1990
La guerre Aoun-Geagea. La bombe dans le jardin.
Les éclats dans mon corps et celui de mon mari. L’hôpital.
Le bain de sang.
1994
Ma fille est diagnostiquée « différente ». Toute ma vie change.
2005
Mon divorce. Une liberté qui me propulse vers le théâtre.
2012
Mon père nous quitte, très rapidement suivi par ma mère en 2014. Je venais de terminer de jouer Online, ma première pièce pour adulte en tant qu’auteure. Il ne l’aura pas vue.
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