lundi 27 mai 2019

Le rêve de Josyane Boulos : Avoir sa propre salle de théâtre

Le 14/05/19 Par Nelly Helou  - AGENDA CULTUREL 




« Un matin je me suis réveillée en me disant : il faut que je fasse ce que j’aime dans la vie » ! C’est Josyane Boulos tout craché. Toujours aimable, accueillante, souriante, elle se dépense sans relâche pour ce métier de productrice et de comédienne qui la passionne. A ceux qui lui disent « tu en fais trop », elle répond : « la vie est trop courte pour en faire trop peu ». Elle a fait de la télé aux côtés de son père Jean-Claude Boulos, du cinéma, des courts métrages et de l’événementiel. Aujourd’hui le théâtre emplit sa vie. 
Rencontre et dialogue à bâtons rompus

D’où vient cette passion du théâtre ?Spontanément Josyane répond : « sûrement de Jean - Claude Boulos! Déjà en famille durant les fêtes de Noël, enfants, nous présentions des sketches pour les plus grands, et papa et mes oncles en faisaient de même pour nous tous. C'était toujours une ambiance festive à la maison. Avec mon père à la télévision on côtoyait des acteurs, des musiciens, des chanteurs, il y avait toujours quelqu'un de connu chez nous. A l'école j'ai fait du théâtre dans le cadre des activités parascolaires et cela m'a toujours passionnée de me mettre dans la peau d’un autre personnage.

Vous avez eu aussi une longue expérience de la télévision ? Oui, pendant dix ans aux côtés de mon père. Les programmes qu’il a lancés et que nous animions sont restés dans les mémoires : "Malaeb"(jeux), " Zouwar al Massa" (les visiteurs de nuit), et le plus célèbre Ahad al Hawa" (dimanche en direct). Un programme très diversifié qui se déroulait tout au long de la journée du dimanche avec des activités culturelles, du jeu, des variétés musicales…. Il a duré deux ans avec un succès immense. Ce fut pour moi une belle expérience qui m’a rapprochée du théâtre. Petite, j'ai fait aussi du ballet et puis de la danse classique jusqu’à l’âge de 45 ans, chez Sonia Poladian,Vicky Sarkis et Pierre Alain Pérez.

Après vos études scolaires chez les des Dames de Nazareth puis au Collège Notre Dame de Jamhour avez-vous été à une école professionnelle de théâtre ?Non, j'ai appris en jouant. Les félicitations que j'ai reçues récemment pour mon rôle de Gilberte dans « Monsieur Béchara » m'ont fait chaud au cœur. A une personne qui me demandait où est-ce que j’avais étudié le théâtre, j'ai répondu : sur scène. La passion des planches, du spectacle des gens, du public est dans mon sang, dans mes gènes. Dans un premier temps, j’ai créé ma compagnie et je me suis lancée dans l'événementiel produisant des spectacles sur scène ou de rues, avec des locaux ou des troupes étrangères, des concerts, du théâtre etc. De 1995 à nos jours, j'ai plus de 75 spectacles à mon actif.
Après mon divorce j'ai commencé à suivre des ateliers de théâtre avec Betty Taoutel. J’ai écrit mes premières pièces que j'ai produites et jouées.
Un matin je me suis réveillée me disant il faut que je fasse ce que j'aime dans la vie, je ne suis plus très jeune, j’ai encore quelques années d'activités intenses et je vais me consacrer au théâtre uniquement. J’ai créé la société « 62 Events » pour produire des pièces locales et faire venir des troupes étrangères. Et c’est parti.

« S’approprier un personnage, c’est fabuleux »
Le contact avec les compagnies de théâtre français a-t-il été facile ?Lors des grandes fêtes d’été qu’on organisait notamment à Fakra, on faisait appel à des troupes étrangères d’animations et de spectacles de rues. Des liens se sont établis et par la suite nous avons été approchées par des compagnies intéressées de se produire au Liban. 
C’est passionnant et enrichissant de rencontrer de grands noms du théâtre, de parler culture, échanger des opinions, créer des liens amicaux. Aujourd'hui j'ai un véritable réseau d’amis avec qui je reste en contact permanent. En juillet, je me rends une fois de plus au Festival d’Avignon pour une dizaine de jours, et je sais que je n’aurai pas une minute à moi vu le nombre d’amis que je retrouve et les spectacles à voir dans cet antre de culture. C’est là-bas que je fais mon shopping, mais pas exclusivement. Si j'ai des coups de foudre, je prends. Mais mes productions ne sont pas nécessairement achetées à Avignon. 

Vous êtes productrice mais vous montez aussi sur les planches. Est-ce qu’il y des rôles qui vous ont particulièrement marquée. J'ai beaucoup aimé jouer le rôle de la duchesse dans « Léocadia » de Jean Anouilh, un texte pourtant bien difficile. Un vrai challenge pour moi, surtout dans une des scènes où j'avais à retenir quatre pages. De même j’ai aimé mon rôle dans « l'Inattendue ». J’ai aussi adoré jouer les pièces que j'ai écrites moi-même. Et je reste très attachée à mes personnages. Aujourd’hui, je suis totalement sous l’emprise de Gilberte dans la pièce « Monsieur Béchara » d’Alexandre Najjar mise en scène par Lina Abiad, qui se joue au Monnot. 
Gilberte est une femme absolument délirante et je vis à fond mon personnage. J’ajoute de nouveaux éléments de caractère, des mimiques, une façon de parler. C’est vraiment excitant de pouvoir être quelqu'un d'autre. Par exemple j’ai introduit le fait que Gilberte se gratte l’épaule chaque fois qu'on prononce le nom de Jean-Paul Sartre à qui elle est totalement allergique. Je suis fière de cette trouvaille. Dans Léocadia, la duchesse n'avait pas de prénom et j'ai décidé de l'appeler Marguerite.

En somme vous faites évoluer le personnage que vous incarnez ?Tout acteur digne de ce nom fait évoluer son personnage. Une fois le travail du metteur en scène achevé et les points de vue de l’auteur retenus, l’acteur se trouve face à lui-même responsable de son propre personnage. Tout en respectant la mise en scène, on jouit d’une grande liberté d’interprétation et de la possibilité de donner au personnage qu’on incarne une dimension personnelle. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait avec Gilberte. Je la vois en vielle fille aigrie, ayant de l’arthrose… S'approprier un personnage, c’est fabuleux. A la fin de chaque représentation quand je rentre chez moi, Gilberte me manque. 

Comment vous évaluez la vie théâtrale au Liban ? Au Liban le théâtre a connu sa belle période jusqu’en 1975. Aujourd’hui il vivote alors qu’on devrait lui donner un espace bien plus grand. On a les talents qu'il faut, de grands écrivains, d'excellents metteurs en scène et des acteurs, qui ne demandent qu'à s’éclater. D’ailleurs, le fait de produire du théâtre local m’a permis de découvrir des talents, que j'encourage et que je conseille à d'autres metteurs en scène. Mais hélas, on manque de salles et nous n'avons pas une industrie théâtrale. 
Pourtant, depuis la nuit des temps le théâtre a toujours occupé une place importante dans la cité. Plus accessible que le livre, il est le porte-parole du peuple, source de culture, de loisirs et transmet plein de messages comme dans « Monsieur Bechara ». L’industrie du théâtre est aussi génératrice d'argent pour l'état. Par exemple, on vient d'avoir les chiffres du West end à Londres qui a généré en TVA uniquement 764 millions de pounds pour l'état avec 15,5 million de tickets vendus. 

Peut-on dire que vous contribuez à l’épanouissent du théâtre francophone au Liban ? J’espère, apporter mon petit grain de sable, non seulement au niveau du théâtre francophone mais aussi du théâtre libanais, du théâtre tout court. Et je voudrais pourvoir en faire beaucoup plus. Créer une dynamique, fidéliser un public attirer les 18 à 40 ans qui n’ont pas connu l’âge d’or du théâtre libanais. J’aimerai 

Avez-vous déjà pu fidéliser un certain public ?Oui, un public qui aime le théâtre de qualité. Il y a des gens quasi présents à toutes mes pièces, C’est génial et très encourageant. J’essaye de mettre des prix à la portée de toutes les bourses. Pourtant ça coûte de réaliser un spectacle. Les salles sont chères, il faut payer les publicités, le ministère de la culture a un budget minime et on manque de mécènes. Je voudrais payer les acteurs dans la mesure du possible après tout c'est leur métier et ils en vivent.

Mais peut-on vivre du théâtre ?Oui, si les acteurs ont l’opportunité de jouer régulièrement. Mais malheureusement il y a plus d'acteurs et de metteur en scènes que de salles de théâtre. Pour qu’une pièce locale soit rentable il faut qu’elle joue pendant au moins un mois, le temps que les acteurs soient bien rodés et qu’elle prenne sa vitesse de croisière

Est-il avantageux d'amener ces troupes de l’extérieur uniquement pour 5 ou 6 représentations ? Jusqu'à l'heure je peux dire que cela se passe plutôt bien, mais j'augmente un peu le prix des billets par rapport à une production locale. A la fin de l'année le bilan est positif. 

Les 62 Events vous font vivre ? Éclat de rire de Josiane qui ajoute, « restons silencieux ! Quelqu'un peut-il vivre de la culture ? Je jongle, je m'en sors, je mange, j'ai un toit mais je ne sais pas ce qui m’attend pour mes vieux jours. Elle ajoute avec humour J'espère que mon fils va faire fortune et s'occuper de moi..... Comme Dieu le veut.


« Je prends la vie comme elle vient » 
A voir votre rythme de vie on devrait vous appeler Madame 100 000 volts? Comme Gilbert Bécaud. Ça tombe bien ! Dans la pièce « Monsieur Béchara » vous êtes Gilberte ? Êtes-vous infatigable ?Bien sûr je me fatigue, et au réveil je ne suis pas vraiment de bonne humeur, je ne suis pas une fille du matin. Mais de par mon caractère je suis une personne positive. Une fois la journée entamée, je suis quelqu'un de conciliant (haniye) comme on dit en libanais. Je prends la vie comme elle vient.

Mais la vie n'a pas été facile pour vous. Un divorce et une fille ayant un problème de naissance pour laquelle vous vous dépensez sans relâche ! C'est parce que la vie n'a pas été facile pour moi que je la prends comme elle vient. D’ailleurs c’est ma fille Valérie qui a aujourd’hui 27 ans qui m’a appris à accepter ce que la vie nous donne. Certes, je fais de tout pour qu’elle puisse s’épanouir et j’ai créé l’Association « al Majal ». J’ai aussi un grand garçon de 30 ans, brillant, qui vit à Paris. Il est dans le marketing, mais il aime le théâtre et je l'ai encouragé. Il a fait des stands up à Paris et a joué avec moi. On a partagé la scène dans une pièce de Betty Taoutel. " « akher beit bil Gemmayze", (la dernière maison à Gemmayze).

Vous paraissez toujours détendue positive, pleine d’humour. Votre accueil au théâtre est exceptionnel. Ne vaut-il pas mieux avoir une réputation de riche que de pauvre comme le dit le proverbe libanais ? A quoi sert de montrer un visage soucieux et fermé ». Je préfère faire face aux problèmes de la vie avec le sourire. « La misère est plus douce au soleil » chante Aznavour. Grace à Dieu mes enfants sont en bonne santé. C’est primordial.

Vos prochains projets ? Deux spectacles pour le mois de juin. Le premier juin je présente un spectacle musical de Nicole Chami au théâtre du Boulevard, avec 20 artistes sur scène et plus de 30 tubes. « Un music Idols » qui a eu un grand succès à Paris. Du 12 au 16 juin au théâtre Monnot, j'ai une superbe pièce de théâtre que j'avais vue et adorée à Avignon il y a deux ans intitulée « Les meilleurs alliés ». Il s’agit d’un face à face entre de Gaulle et Churchill deux ou trois jours avant le débarquement en Normandie. Une leçon d'histoire magistrale. Texte d’Hervé Bentégeat et mise en scène Jean Claude Idée.

Monter sur les planches est-il désormais indispensable pour vous ? Je joue de nouveau en janvier dans une pièce de mon cru intitulée « Sobhiyeh » je voulais la présenter cette saison mais je n'ai pas eu le temps. Oui, je ne peux plus me contenter d'être productrice. On commence à m'appeler pour jouer avec d'autres metteurs en scène. On pense à moi maintenant que ce soit au cinéma ou au théâtre, cela me fait grand plaisir. D’ailleurs, j’ai déjà fait du cinéma. C'est passionnant ! J'ai joué dans « Wanted », (Matloubin) de Nibal Arakji, sorti cet hiver et dans « Listen » de Philippe Aractingi. J’ai fait des courts métrages qui ont reçus des prix à l'étranger. En fait, je fais ce qui m'amuse, ce que j'aime. Peut-être ce n'est pas très raisonnable, mais on ne vit qu'une fois et la vie est trop courte pour faire trop peu.
Souvent on me dit Josiane tu en fais trop ! Non je fais comme tout le monde Quand on est restaurateur on va tous les jours au restaurant, moi mon métier est le théâtre et j’en fais tous les jours.
Josyane Boulos de conclure : Mon rêve serait d'avoir ma propre salle de théâtre dans le plein sens du terme un lieu où les jeunes et les amateurs de théâtre se retrouvent pour parler culture, échanger des idées. Un vrai lieu de vie.


Où sont donc nos mécènes pour aider Josyane Boulos à réaliser son rêve ?

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